Nautigirl, transpacifique en solo sur un 28 pieds

Diane Jullich, de la Martinique à la Polynésie en Sail 902

Diane Jullich, une jeune normande de 43 ans, a rallié la Martinique à la Polynésie en solo sur son Sail 902. Elle retrace toutes ses aventures à la fois en vidéo mais aussi à l’écrit avec son livre « Il était un petit navire », et des billets de blog.

Qu’est ce qui ne plaisait pas dans ta vie pour vouloir en changer ?

J’étais expert-comptable indépendante et je travaillais 6 jours sur 7, 10h par jour. Pas de vie sociale, toujours des délais à respecter : la TVA le 15 du mois, les payes en fin de mois, les reportings mensuels, trimestriels et annuels, les bilans, les liasses fiscales…

Bref beaucoup de boulot, beaucoup de stress. J’en avais marre de ne pas profiter de la vie.

Pourquoi avoir choisi la voile ?

Petite, je faisais de l’optimist à la SRCO (Société Régatière de Caen-Ouistreham).

J’ai passé des années à parcourir la France de long en large pour faire toutes les régates régionales et nationales.

Mon père, féru de voile, faisait des kilomètres en voiture pour que je puisse participer à un maximum de régates.

Et puis ado, j’ai abandonné l’optimist. Trop grande pour ce format de bateau. Je n’ai pas trouvé un support qui me plaise ensuite, donc j’ai abandonné la voile, jusqu’à ce que je rencontre mon ex, Adri, en 2015, un gars qui voyageait sur son Laurin Koster de 28 pieds depuis plusieurs années et qui venait d’arriver sur Tahiti.

J’ai passé 7 mois dans les Tuamotu à naviguer avec lui. Le virus est reparti !

Qu’est ce qui te motive ?

Me dépasser, apprendre à me faire de plus en plus confiance.

Je voulais apprendre à faire du bateau et à le gérer seule en longue traversée. Ça c’est fait. Maintenant l’objectif, c’est de partir à la découverte d’un maximum d’îles de Polynésie.

Pourquoi avoir baptisé ton bateau « Nautigirl » ?

Pourquoi avoir choisi ce nom ? Hé bien, c’est très simple. Tout simplement parce que je suis tombé amoureuse de ce nom, le jour où je l’ai vu imprimé sur un vieux tee-shirt, suspendu parmi d’autres du même genre, sur l’un des murs d’un bar, ou plutôt d’une gargote perdue au fin fond du sud de l’île de Fakarava, dans l’archipel des Tuamotu en Polynésie Française. J’y avais fait un stop tout à faire par hasard avec mon ex avec qui je naviguais à l’époque. Nous rêvions d’une bière fraîche et c’est ce désir qui nous avait emmené à cet endroit, le seul à proposer ce type de prestation à plusieurs miles nautiques à la ronde. Tout en dégustant ma Hinano, j’avais observé les lieux plus par désœuvrement que par réel intérêt. Et mes yeux avaient été attirés par ce nom imprimé sur un tee-shirt gris.

Je me rappelle avoir été interpellée tant je le trouvais original. J’imaginais qu’un équipage exclusivement féminin avait fait don de ce vêtement au bar de la plage pour que celui-ci agrandisse le nombre de ses trophées déjà nombreux, polos, tee-shirts, casquettes au nom de différents bateaux et drapeaux du monde entier.

J’aimais le double sens du nom « Nauti-girl » : d’abord, une fille qui navigue (en latin, on a « nauta » qui signifie « marin, matelot » et en anglais, « girl », c’est une fille), ensuite, en anglais, cela se dit de la même manière que « naughty girl » qui veut dire polissonne, dans le sens de « garnement » ou « chenapan » au départ… Malheureusement, depuis quelques années, l’évolution des mœurs a fait évoluer cette expression vers un côté un peu plus « cochon » quand on parle d’une fille… Alors que lorsqu’on désigne un garçon en utilisant le même adjectif, « a naughty boy », on reste bien dans l’esprit que j’avais au départ, c’est-à-dire un garnement et pas un gros chaud qui montrerait son cul et ses pectoraux à toutes une bande de nanas assoiffées…

Bref, je suis tombée amoureuse de ce nom. Je ne l’avais encore jamais vu porté par un bateau. Je me suis donc juré, à ce moment-là, que le jour où j’aurais un voilier, je l’appellerai ainsi… Sans savoir que j’allais en acheter un six mois plus tard… Et j’ai tenu ma parole !

Pourquoi avoir choisi le Sail 902 ?
Franchement l’achat du bateau s’est fait sur un coup de tête. Je suis arrivée en Martinique début décembre après une transat sur un 47 pieds en tant qu’équipière. C’était juste après mes 40 ans et après m’être faite larguer (…). La Transatlantique que je venais d’achever s’était tellement bien passée que j’avais envie de continuer sur cette lancée et, si possible, sur mon propre bateau dans lequel je pourrais mettre toutes mes petites affaires et mes « jouets » tels que mon matériel de kite ou de plongée et ainsi m’arrêter à ma guise dans tous les lieux où je pourrais pratiquer ce genre d’activité. Un peu ce que j’ai connu en Polynésie pendant une bonne partie de l’année 2016, à bord du bateau de mon ex.

J’ai donc décidé subitement de m’acheter un bateau… Oui, comme ça… Comme j’aurais décidé de m’acheter un nouveau tee-shirt…

Donc me voilà fin décembre 2016, à quelques jours de Noël, me dirigeant en voiture vers la marina Z’abricots du côté de Fort-de-France, en Martinique, où je dois voir le seul bateau correspondant à mon budget dans les environs : un Sail 902.

nautiGirl

Je suis accompagnée d’un pote que j’ai rencontré aux Canaries juste avant mon départ en Transatlantique qui, justement, possède le même type de voilier et qui vient de transater avec. Il est censé m’accompagner pour m’aider à contrôler le bon état de ma potentielle future acquisition. Malheureusement, nous nous disputons en chemin pour une broutille et je me retrouve seule à devoir inspecter le bateau.

Le sujet de la dispute ? J’avais un rendez-vous fixé à 15h par le vendeur et je comptais, naturellement, m’y rendre à l’heure dite, en compagnie de mon conseilleur… Mais, celui-ci avait plus envie de faire la fête que de se montrer ponctuel à un rendez-vous. Il voulait donc passer d’abord chez un ami, boire une ou deux bières, se faire inviter pour le barbecue parce que « Tu comprends, ici c’est la Martinique, on est toujours en retard ici… C’est le retard martiniquais »

… Bref…

J’arrive, je vois le bateau et j’ai un coup de cœur pour lui… Sûrement mon côté fille qui a réagit : il était beau, il était propre, il avait de belles formes.

Je ne savais rien des questions à poser lors de l’achat d’un bateau… alors à part demander à voir le moteur et le faire démarrer… je n’ai rien vérifié d’autre… De toute manière, le propriétaire qui le vendait ne l’avait que depuis 6 mois (et le revendait car muté hors de la Martinique) et je pense qu’il n’est jamais sorti de la rade de Fort de France…

Même pour démarrer le moteur, il avait une check-list pour se rappeler des quelques étapes nécessaires (ouvrir le passe coque d’arrivée d’eau de mer, préchauffage, start). Il n’aurait pas su me dire quoi que ce soit…

Il m’a mise en contact avec l’ancien-ancien propriétaire du bateau qui l’avait fait transater en 2015 et donc, vu l’état « visuel » du bateau, avec une transat récente, j’imaginais que le bateau était en bon état…

Quels sont les points forts du bateau ?

Petit bateau donc facile à manier pour une nana seule.

Magnifique barre typée régate toute en inox (j’avais craqué pour cette barre quand je l’ai vue, et elle se transforme en table à apéro !).

AIS émetteur/récepteur à bord + Mer-veille + Balise EPIRB

Coque en polyester donc facile à réparer. Bonne qualité : pas d’osmose.

Ses points faibles ?
Son âge : 40 ans cette année (1979) donc j’ai dû faire pas mal de réparations.

Sa taille qui le rend peu confortable dans certaines situations.

Un fond plat… Alors ça c’est chiant ! Dès qu’il y a un peu d’eau, je dois éponger entre les varangues… il n’y a pas de puisard dans lequel j’aurais une pompe de cale… nulle part.

Quelle a été ta préparation du bateau ?

J’ai une liste longue comme le bras de réparation…

Les plus gros jobs ont été les suivants :

  • Le joint de quille en dur à refaire
  • Le skeg (ou saumon de safran) à refaire entièrement (remplacer le bois tout pourri et refaire une strate)
  • Renforcer la chaise d’arbre
  • Changer tous les haubans
  • Rajouter un bout-dehors et donc modifier la pointe avant en inox (et pour ça, la démonter…)
  • Modifier la tête de mât pour pouvoir lancer un spi (rajout d’une platine + poulie)
  • Investissement dans un code D + un emmagasineur pour gérer facilement le code D
  • Révision intégrale du moteur
  • Révision et changement des pièces d’usure de l’inverseur
  • Refit du safran
  • Modification des marches de la descente
  • Nouvelle strate refaite tout autour du tube d’étambot
  • Changement de l’arbre en bronze pour un arbre en inox
  • Changement de presse étoupe à tresse pour un joint PSS
  • Changement d’hélice bipale pour une tripale (pour pouvoir faire 5 nœuds dans le canal de Panama)
  • Modification de la trappe d’accès au moteur dans le cockpit pour la rendre étanche
  • Modification des coffres dans le cockpit pour les rendre un peu plus étanche
  • Installation d’un capteur d’angle pour le pilote
  • Investissement dans plusieurs petits autopilotes ST2000+ et SPX 5 + télécommande pour le SPX 5
  • Révision des voiles
  • Changement de tous les passe-coques
  • Pompes de cale supplémentaires

J’ai modifié l’intérieur en rajoutant des plaques qui peuvent « prolonger » les banquettes du carré et me permettre ainsi de dormir dans un « grand lit » 
Je ne compte pas les 4 antifoulings différents sur 2,5 ans… vu que j’ai eu des grosses réparation hors sortie d’eau pour antifouling et que je restais à sec un bout de temps (2 mois)… par précaution, à chaque fois, j’ai refait l’antifouling…

Ta route depuis l’achat ?
Achat fin décembre 2016 en Martinique. J’ai fait pas mal d’îles entre Grenade et Saint-Martin. Zone parfaite pour se faire les dents.

Et puis traversée de la mer des Caraïbes en avril 2019 car je ne voulais pas faire une saison de plus aux Antilles : mon souhait a toujours été de rejoindre la Polynésie.

3.260 milles faits dans l’arc antillais essentiellement en solo + 1.300 milles de traversée directe de la mer des Caraïbes avec un équipier.

Canal de Panama dans la foulée (mai 2019).

Et puis après 2 mois de chantier (je suis abonnée à 2 mois dès que je sors le bateau !), transpacifique en solo sur juillet/août 2019 = 4.000 milles en solo sur 38 jours.  

Des galères ?

Les galères ? Ma 1ère nav en solo où j’ai cru que des globicéphales allaient me rentrer dedans, à 4 milles seulement de mon point de départ !

Sinon, tous les moments sur le chantier… mais ce sont des moments nécessaires pour apprendre à bien connaître son bateau finalement !

Quelles erreurs tu ne reproduirais pas ?
Aucune car ce sont elles qui m’ont conduite là où je suis finalement. J’ai appris de chacune de mes erreurs et galères. Alors en supprimer une, ce serait peut-être prendre le risque de ne pas apprendre une leçon importante ?

Quelles destinations pour la suite ?

Toute la Polynésie ! Je vais faire un max d’îles en long en large et en travers  

Des tips&tricks pour la vie à bord ?

Savoir être inventif pour créer un maximum d’espace dans un petit bateau. Ça c’est important !

Avoir une bonne caisse à outils et un certain nombre de pièces de rechange et de vis inox… bref, pouvoir bricoler facilement.

Un conseil pour les prétendants aux grandes croisières ?
Bien préparer son bateau et ne pas lésiner sur le temps nécessaire (ni les sous d’ailleurs) : une fois parti, c’est trop tard pour regretter de ne pas avoir fait quelque chose de nécessaire…

3 livres inspirants ?

Maiden Voyage de Tania Aebi

One Girl One Dream de Laura Dekker

La longue route de Bernard Moitessier (forcément)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.