Pour la plupart des plaisanciers, regarder la météo pour anticiper les coups de vent est plus qu’une habitude. Si nous aimons nous confronter aux éléments, il y a des limites. Mais il peut arriver que lors d’une navigation, le temps change et que le vent monte, plus ou moins brutalement. Dans cette situation, l’objectif des manoeuvres sera d’équilibrer le bateau, puis, de rassurer l’équipage.
Dans la grande majorité des cas, ces manœuvres consisteront à prendre un ris dans la grand voile et à réduire la voile d’avant. Mais parfois, la navigation devient vraiment impossible et demande de sécuriser le bateau et l’équipage. C’est à ce moment-là que le tourmentin sera sorti et que, parfois, il faudra prendre la fuite. Mais qu’est-ce que prendre la fuite, en voilier ?
Prendre la fuite, une allure de sauvegarde
Alors, parlons-nous franchement, dès ces premières lignes. Cet article sur la fuite, en voilier, est plus un article de culture maritime qu’un guide pour connaître la manœuvre. En effet, nous serons peu nombreux à avoir « l’occasion » de prendre la fuite en bateau. Et cela pour différentes raisons.
Premièrement, la fuite est une allure de sauvegarde. C’est-à-dire que l’objectif de cette allure est de sécuriser le bateau et l’équipage. Pour se retrouver dans cette situation, il faut que la mer soit tellement forte, et le vent puissant, qu’il ne soit plus possible de naviguer autrement. Or, si nous sommes plusieurs à déjà avoir navigué par gros temps, nous sommes sans doute peu nombreux à naviguer sous un temps de tempête. J’imagine que vous préparez tous votre navigation et éviter de sortir quand les Beaufort commence à monter sérieusement. De mon côté, je suis prudent, et je reste chez moi.
Deuxièmement, prendre la fuite, comme son nom l’indique, c’est fuir le vent et la mer. C’est-à-dire que vous allez vous mettre vent arrière, au grand largue, pour prendre de la vitesse. Cette vitesse va vous permettre de réduire la vitesse apparente des vagues et de stabiliser plus ou moins le bateau. Mais tout cela est relatif et comporte des risques. En fait, cette allure est le dernier recours, après la cape.
Troisièmement, nous sommes tous des plaisanciers amateurs. Nous naviguons en côtier. Et prendre la fuite le long des côtes est très dangereux. En effet, sauf par vent de terre, mais dans ces cas-là les vagues ne sont pas grosses, si nous prenons la fuite, cela risque d’être en direction des côtes.
Enfin, le quatrième élément qui limite les « chances » de prendre la fuite, est le type de bateau que vous utilisez. Nous le verrons plus bas, mais les bateaux d’aujourd’hui ne sont plus des bateaux adaptés à cette manoeuvre.
Les différents types de fuite
Il existe différent types de fuite, en voilier. Chaque manoeuvre aura un intérêt particulier.
La fuite sous voilure réduite
La fuite sous voilure réduite consiste à naviguer avec une voile d’avant seulement. En effet, si généralement, il est préférable de naviguer avec de la toile à l’avant et à l’arrière du mât, afin d’avoir un voilier bien réglé, ici, ce n’est le cas. J’ai envie de dire qu’on s’en fiche. Tout ce qui nous intéresse, c’est de sécuriser le bateau et l’équipage.
Dans ce cas, on garde le tourmentin, ou une autre voile tempête. L’objectif étant de garder un peu de toile pour rester manœuvrant entre les vagues. Dans le même temps, il sera difficile de rester perpendiculaire aux vagues. Le bateau aura tendance à aller dans tous les sens et le risque d’empannage brutal est réel.
L’idée est ici, d’atténuer la force et la vitesse des vagues, le temps que la situation se calme. Cette manœuvre « semble très technique. Les témoignages nous parlent d’une barre très dure à tenir ( on s’en doute), de bateaux qui enfournent ou encore de déferlantes arrivant de l’arrière et inondant le bateau. Bref, ça fait rêver.
La fuite à sec de toile
La deuxième solution, pour sécuriser le bateau et l’équipage dans une tempête, est de prendre la fuite à sec de toile. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Cette situation peut arriver si le vent forcit encore. Dans ce cas, le moindre morceau de voile est impossible à tenir. Dans les livres, nous pouvons lire qu’il faut affaler la voile d’avant. Autant vous dire que cela signifie prendre des risques énormes d’aller à l’avant. « On tire à pile ou face ? ». Dans cette situation, le vent continue de pousser le voilier, grâce à son fardage. Il faut donc rester à la barre pour continuer à diriger le bateau et la garder perpendiculaire aux vagues.
La fuite avec traînards
Enfin, pour ceux d’entre nous qui veulent encore se faire peur, il arrive que le voilier soit encore trop rapide, même à sec de toile. Dans ce cas, il existe une situation ultime. L’idée est de laisser traîner des bouts derrière le bateau pour le ralentir. Il existe aussi les ancres flottantes.
Si vous ne possédez pas d’ancre flottante, l’objectif est de laisser traîner des aussières. Ces aussières pourront être attachées les unes aux autres pour former une boucle revenant au bateau.
Quel bateau pour prendre la fuite?
Nous venons de voir les différents types de fuite, en voilier, par gros temps. Enfin plutôt lors de tempêtes. Mais il faut savoir que tous les bateaux ne sont pas adaptés à cette allure.
En effet, nous avons vu que cette allure de sauvegarde était dangereuse
- Risque pour la personne à la barre, exposée aux lames qui arrivent par-derrière
- Risque d’embardée
- Risque de déferlante qui arrive par l’arrière du bateau et entre dans le bateau
- Risque de casse sur la poupe du bateau
Les bateaux, jusqu’aux années 90’s, avaient un maitre-bau plutôt avancé. Cela signifie qu’ils avaient un cockpit moins large, à l’arrière, et donc un tableau arrière plus étroit. Dans le même temps, le cockpit de ces bateaux étaient généralement fermé, et profond. Cette ergonomie permettait, dans le cas d’une fuite, d’exposer moins de résistance aux vagues venant de l’arrière, et de sécuriser l’équipage, qui se trouvait protégé.
Cependant, aujourd’hui, les tableaux arrière sont très larges et, généralement, complètement ouverts. Cette configuration ne sécurise pas le barreur et offre une plus grande surface d’attaque aux vagues. Et la puissance d’une vague est très importante.
Bref, pour résumer, j’espère que ni moi, ni vous, aurons l’occasion de prendre la fuite en voilier. Si pour les plaisanciers naviguant en Méditerranée, les coups de vents ne sont pas toujours prévisibles, c’est plus souvent le cas en Atlantique et en manche. Alors, avant de prendre la fuite, ne sortons pas.
Bonjour, J’ai longtemps navigué avec mon Serpentaire dans le Golfe du Lion du côté de Collioure, Port Vendres et souvent en allant vers les Iles Baléares. Il m’est parfois arrivé de devoir naviguer à sec de toile lorsque la tramontane n’accepte pas de coller aux prévisions météo ou bien se déchaîne plus tôt que prévu, notamment après une période de calme où nous restions encalminés… L’intérêt de la fuite dans cette zone consiste à ne surtout pas naviguer pile vent arrière, trop dangereux avec les vagues qui deviennent vite des murs, mais à filer en biais, vers le sud ouest pour se rapprocher de la côte et se mettre à l’abri, soit derrière le cap Béar, soit, et là c’est plus sauvage, derrière le fantastique cap Créus. A sec de toile, lorsque la mer fume, on file tout de même vers 8 à 10 nœuds, sans compter les surfs. Mais il est magique de se trouver brutalement protégé des vagues, derrière l’un de ces caps, sur une mer plate parcourue de grandes risées blanches qui font toujours siffler les haubans. Lorsque le mer est chaude, en été, que l’on est amarré avec un harnais car le pire serait de tomber à l’eau, même copieusement douché, le bateau hermétiquement fermé, je ne me suis jamais senti véritablement en danger, même si la cavalcade est très impressionnante. La vue est parfaite et permet de bien se situer. Cela tient plus du rodéo que de la voile mais j’ai toujours eu confiance dans mon voilier, bien préparé.
Merci pour ce retour impressionnant. Bravo au skipper et, le serpentaire, quel bateau!!!
Salut, ayant déjà eu « l’occasion » de devoir prendre la fuite par gros temps au large du nord du Portugal…
Mer démontée, vent à décorner les bœufs…je confirme que c’était la meilleure solution…bien qu’obligé de faire route à l’opposé de l’objectif un mini bout de trinquette (sur enrouleur) a permit de stabiliser le bateau et de tenir (enfin) un cap…
À bord d’un plan Saillard hauturier…vive les vrais voiliers hauturiers, je n’aurais certainement pas tenté ce genre d’acrobaties avec un voilier quelconque…mais c’était une expérience inoubliable !
Bravo Monsieur Saillard, l’Esquiroc est un vrai tank ! Merci beaucoup
Merci pour ce retour d’expérience Bruno.
Nouveau sur votre site je trouve vos articles très intéressants, d’autant que je compte finir mes jours sur un monocoque. J’ai été plusieurs fois skipper et il m’est arrivé une fois, en plein mois de juillet, de prendre la fuite au large de Sète.
Merci pour ce retour
J’adore, ça me manque…
Pi avec un petit verre de rhum, ça se passe bien…
2003, de Retour des Antilles, quelques jours avant d’arriver â Faial (Acores) 2 jours à taper la mer au prés devient intenable je decide de partir Est juste avec un bout de genois de 6m2 …
les vagues sont immenses et percutent le voilier de partout comme des coups de butoir, devant et sur le côté, j’en viens à vérifier les boulons de la quille en pensant qu’elle bouge tellement les coups sont rudes, les 45 nds de vent permanent font siffler les haubans mais le vaillant Moody 33 suit sa route plein EST… et sous pilote !
J’ai déconnecté l’Autoelm 6000 trop gourmand en énergie pour le 4000 qui barre comme un chef malgré que son moteur soit bouillant …
3 jours 2 nuits à supporter cet enfer !
Chaque coup de vague crispe l’estomac et je regarde les écoutes bandés comme des cordes d’arc en priant qu’elles ne cassent pas …
Le vent et la mer se calment ensuite et nous reprenons notre route Nord pour rejoindre Faial , tout va bien, 28 mai, notre fils souffle ses 6 bougies et soudain des 10 enes de dauphins viennent prendre part à la fête…
2 jours plus tard la terre se dessine à l’horizon et nous sommes heureux d’avoir passé 24 jours pour l’atteindre en repoussant les limites de nos connaissances de ce monde de la mer. L’entrée du port se fait en manoeuvrant au pilote car les cardans de la barre ont souffert et devront être realignés et les vêtements lavé et séché car pas un endroit n’a échappé à l’humidité.
Décidément ce Moody 33 est un super voilier et vive son cockpit central protecteur.
Merci pour ce super retour
On prend la fuite à chaque fois qu’on largué les amarres !
Merci pour ces conseils précieux,je regarde la météo,navigue en Med j’espère jamais avoir m’en servir
Je voudrais faire part de ce qui m’est arrivé en mai 1998 sur Gibsea 372 au large de la Sardaigne.
Nous avons été pris dans une tempête, force 10 Beaufort, 52 Nds de vent, vent Nord / Sud, à environ 10 Milles de la Côte.
Impossible de tenir une voile, je me suis donc décidé pour la fuite à sec de toile, la côte étant Nord/Sud comme le vent, j’aurais de l’eau à courir.
Je connaissait la fuite en théorie, mais ne l’avais jamais pratiquée. Toutes voiles rentrées, le foc enroulé, la GV ferlée sur la bôme, la bôme elle-même dans l’axe du bateau; et c’est là que cela devient intéressant:
Impossible de maintenir le bateau vent arrière ou grand largue, il se mettait au travers, donc vers la côte! J’ai alors pensé que la bôme avec la voile ferlée, avec ce vent , faisait office de voile, j’étais grée comme pour du près. J’ai donc l’idée de choquer la bôme, comme une voile pour du grand largue; et là, miracle: le bateau se laisse gouverner au vent arrière ou au grand largue, j’avais une possibilité de manoeuvre de 15° sur chaque bord!
Je pense que cette expérience peut être utile, je ne l’avais jamais vu ni lu commenté nulle part, mais je peux dire que cela nous a sauvé la vie car nous étions dans une situation dantesque et toute approche de la côte nous aurait été fatale.